Dans notre subconscient collectif, l’Éthiopie est encore le pays de la grande famine de 1984. Et pourtant, il est beaucoup plus que cela.
Entre cette époque révolue et aujourd’hui, le pays a fait un bond considérable et est passé d’un pays de famine à une nation agricole prospère; d’une économie communiste fermée à une économie libérale de marché avec des changements sociopolitiques significatifs.
De la situation de famine au succès agricole d’aujourd’hui
L’Éthiopie a connu une situation d’insécurité alimentaire en raison des problèmes climatologiques et de gestion auxquels elle a dû faire face. Depuis, des efforts ont été mis en œuvre par tous les acteurs: pouvoirs publics, partenaires financiers, agriculteurs et autres parties prenantes, pour changer les choses.
Aujourd’hui, le secteur de l’agriculture a un impact significatif sur l’économie de l’Éthiopie. Il représente 45 % du PIB et 80 à 85 % des emplois, en plus de constituer l’une des principales sources de matières premières destinées à l’exportation. La productivité a considérablement augmenté. La structure du marché, quoiqu’imparfaite, s’est améliorée, et la technologie a un impact positif sur le secteur agricole. Le pays bénéficie aujourd’hui de meilleures semences, de meilleures techniques de gestion, de plus de fertilisants et d’un meilleur accès aux marchés continentaux et internationaux qu’il y a 20 ans. Dans certaines zones du pays, les agriculteurs ont enregistré d’excellents résultats et un programme a été développé pour permettre à ces agriculteurs performants de donner l’exemple à leur communauté.
Il y a plusieurs années, l’Éthiopie a créé l’Agricultural Transformation Agency (Agence pour les transformations agricoles). Cet organisme public emploie du personnel technique hautement qualifié et capable d’impulser le processus de transformation. L’Éthiopie consacre systématiquement 10 à 17 % de son budget à l’agriculture, plus encore que ne le demande l’accord de Maputo*. Le déploiement d’un réseau de distribution d’aliments et de systèmes d’alerte rapide a permis de réduire au minimum le nombre de personnes affectées, même en cas de sécheresse.
Encore une fois selon Madame Haile, la relation avec la société civile va bon train. Elle-même est une figure importante des représentations qui se font présentement auprès du gouvernement pour abroger la loi et tous les mécanismes restrictifs à la participation de la société civile.
« Il y a une lueur d’espoir », dit elle.
* En 2003, la Déclaration de Maputo de l’Union africaine engageait ses Etats membres à consacrer 10% de leur budget national à l’agriculture.
Une économie dynamique
Si l’on analyse le budget gouvernemental, 65 à 70 % sont consacrés aux activités de lutte contre la pauvreté dans des domaines tels que l’agriculture, la santé, l’éducation et les infrastructures. L’Éthiopie a fait beaucoup d’efforts pour développer le réseau routier et ferroviaire léger ainsi que la production énergétique. D’ici peu, l’Éthiopie sera un pôle énergétique capable de satisfaire ses propres besoins et d’exporter de l’électricité vers d’autres pays. Les télécommunications constituent un autre exemple d’infrastructures bien planifiées. Malgré toute sorte de contraintes, la société civile fait aussi sa part.
Par exemple, notre partenaire Women in Self-Employment (WISE) travaille à la base avec les femmes vendeuses de rue pour les aider à formaliser leurs secteurs de travail et leur donner un encadrement structuré en vue de les propulser dans l’économie formelle, compétitive et lucrative. Il existe une volonté forte de stimuler la création et la continuité de petites entreprises pouvant alimenter le développement industriel.
Il existe également un grand programme de construction de logements publics qui utilise majoritairement des matériaux et de la main-d’œuvre fournis par des petites et des micro entreprises afin de leur permettre, à terme, de se développer. D’autre part, l’attention se dirige à présent vers les produits manufacturés. Des sociétés du secteur de la chaussure, du cuir et du textile développent aujourd’hui des ateliers pour les marchés européen et américain. Les politiques et efforts actuels sont axés sur l’intégration massive de la population au marché du travail.
D’où proviennent les financements des projets
Une partie de l’investissement en infrastructures provient de fonds publics. Mais cela ne suffit pas à financer les énormes projets lancés par l’Éthiopie. Plusieurs mécanismes sont utilisés pour faire contribuer des gens de toutes les couches de la société, qui participent au financement via l’achat d’obligations. Les autres projets sont financés par des sources privées, principalement par le biais de prêts à taux préférentiels.
L’apport de la diaspora
En juillet 2018, le premier ministre éthiopien Abiy Ahmed a invité la diaspora à s’impliquer dans le développement du pays. Il leur a demandé de donner l’équivalent d’« un macchiato » par jour. Cet espresso surmonté d’une mousse de lait est en effet très apprécié des Éthiopiens. Depuis le lancement officiel, à la fin d’octobre dernier, d’un système de paiement en ligne, l’équivalent de plus de 2,3 millions de dollars canadiens ont été collectés auprès d’éthiopiens et d’éthiopiennes partout dans le Monde. Un bon début, selon le professeur Alemayehu Gebremariam, président du conseil consultatif de l’Ethiopian Diaspora Trust Fund (EDTF), l’organisation à but non lucratif chargée de récolter ces fonds.
« Notre objectif est de faire de l’EDTF un mécanisme permettant à terme de sevrer l’Éthiopie de toute aide étrangère, explique-t-il. Jusqu’à quand pouvons-nous dépendre de la charité des autres ? »
Les défis des droits de l’homme
Pour qu’un pays aussi pluriethnique et multiconfessionnel tel que l’Éthiopie puisse survivre à long terme, les droits de l’homme doivent être solidement ancrés dans la société. Sans cela, la survie d’un pays ne peut pas être assurée. Or bien que le développement économique soit bien en selle depuis le début des années 2000, le respect des droits humains n’avait pas suivi.
Jusqu’à l’an dernier, la société civile éthiopienne en faveur des droits humains était entravée par la Loi sur les sociétés et associations caritatives. Cette loi prévoit des restrictions, notamment en termes de financement, pour les organisations de défense des droits humains. Depuis 2011, la loi a été utilisée pour geler les avoirs de plus d’un million de dollars américains représentant les actifs des deux principales organisations de défense des droits humains du pays : le Conseil des droits humains et l’Association des avocates éthiopiennes.
Tous les espoirs sont permis
L’arrivée au pouvoir d’Abiy Ahmed comme premier ministre au mois d’avril 2018 fait souffler un nouveau vent. En plus de tendre la main à son voisin l’Érythrée avec qui l’Éthiopie est en conflit depuis au moins deux décennies, il amorcé des réformes politiques considérables. Pour la première fois, une femme a été portée à la présidence de l’Éthiopie. Le parlement a désigné Sahle-Work Zewde comme chef de l’État à l’unanimité. Si le poste est essentiellement honorifique, le premier ministre ayant tous les pouvoirs, le symbole est puissant. Dans une société patriarcale comme l’Éthiopie la désignation d’une femme en tant que chef de l’État n’est pas seulement un signe pour le futur mais une reconnaissance du rôle des femmes comme dirigeantes dans la vie publique, selon Tsigie Haile, directrice de WISE, notre partenaire en Éthiopie.
Encore une fois selon Madame Haile, la relation avec la société civile va bon train. Elle-même est une figure importante des représentations qui se font présentement auprès du gouvernement pour abroger la loi et tous les mécanismes restrictifs à la participation de la société civile.
« Il y a une lueur d’espoir », dit elle.
Cet article a été rédigé par Charles Mugiraneza, gestionnaire des programmes en Afrique à l’ŒUVRE LÉGER. Oeuvrant dans le secteur du développement international depuis près de 30 ans, Charles est un témoin privilégié des changements qui s’opèrent dans les pays en émergence sur le continent africain.